L'Instant Philo

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En une dizaine de minutes de quoi nourrir sa réflexion sur des questions traitées de façon accessible.

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"L'instant philo" par Didier Guilliomet En une dizaine de minutes de quoi nourrir sa réflexion sur des questions traitées de façon accessible.

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L'Instant Philo - Une autre image des femmes dans la chanson française

                                                  Une autre image des femmes dans la chanson française

Hier, samedi 8 mars, c’était la journée internationale des droits des femmes. Jeudi 20 mars prochain à 18 heures, l’association de la maison de la culture du Havre organise une grande conversation sur les femmes photographes à la bibliothèque Oscar Niemeyer. Pour rester dans cette actualité, faire une émission sur les représentations assez décalées des femmes que l’on trouve dans la chanson populaire m’a paru judicieux. Une autre image des femmes apparaît, en effet, dans toute une partie de ce qu’on appelle la variété, bien loin des clichés habituels qui oscillent entre la femme, objet d’amour et de désir ou la manipulatrice perfide qu’on accable d’insultes. On ne sera pas étonné que ce soient souvent des chanteuses qui proposent une vision critique d’un certain patriarcat et qui nous montrent une image différente, quelque fois subversive, parfois jubilatoire, en tout cas plus libre, de la femme. Clara Luciani en est un bon exemple.

-          Chanson de Clara Luciani : « La grenade » 

https://www.youtube.com/watch?v=85m-Qgo9_nE )

Un peu de recul historique montre que les femmes sont présentes depuis bien plus longtemps dans la chanson qu’on ne l’imagine. Mais on a un peu vite oublié ces femmes qui se sont pourtant illustrées au moyen-âge dans cet art populaire. On a tous entendu parler des troubadours mais on redécouvre seulement depuis peu leurs acolytes féminines : les Trobairitz. Ces compositrices et interprètes étaient souvent des femmes nobles et instruites à l’exemple de la comtesse Béatrice de Die, né en 1140 et décédée en 1212, qui vivait en Provence. Ecoutons le poème en langue romane qu’elle a mis en musique dans lequel elle confie mélancoliquement sur ses amours contrariés

-          Chanson de Béatrice de Die : « A chantar », interprétée par l’ensemble Obsidienne https://www.youtube.com/watch?v=nT7vTGAYbLw

Pourquoi cet oubli d’artistes qui ne sont pas mineures ? Sans doute parce pendant toute une époque, on n’a pas ou plus pris vraiment au sérieux les artistes femmes.  Elles ont été reléguées à une place subalterne d’où elles étaient inaudibles. D’abord, elles ont dû assumer souvent bien seules, l’éducation des enfants et prendre le rôle, plus lourd qu’on l’imagine souvent, de mère. Linda Lemay rappelle toutes les contraintes qui ne laissent guère beaucoup de temps pour se consacrer à autre chose, de ce statut de mère souvent mal reconnu.

-          Chanson de Linda Lemay : « Une mère »

L’oubli de ce que les femmes ont pu apporter dans l’histoire repose surtout sur une infériorisation méprisante dont Brigitte Fontaine dresse ce constat avec une ironie mordante.

-          Chanson de Brigitte Fontaine : « Je suis la femme » (La côtelette)https://www.youtube.com/watch?v=zPycCVFXIsU

Brigitte Fontaine passe en revue divers clichés qui font de la femme un objet de décoration ou de consommation sur un ton volontairement sarcastique. Cela ne minimise pas, ni n’exclut d’ailleurs, une manière plus directe de dénoncer la violence contre les femmes. A chacune de mener le combat à sa façon. Dans la chanson « Ma souffrance», la rappeuse Diam’s a opté courageusement, il y a des années déjà, pour la dénonciation des violences conjugales souvent cachées et tues, en en faisant une description aussi réaliste qu’accablante.     https://www.youtube.com/watch?v=_4RitUJgxKE   

Dans un autre registre, Anne Sylvestre a su trouver les mots pour exprimer une condition féminine où mépris et violence se conjuguent. La  chanson « Une sorcière comme les autres » fait clairement référence à ces milliers de femmes persécutées et exécutées du XV au XVIIIe siècle en occident, sous prétexte d’actes de sorcellerie, plus sûrement parce qu’elles ne se pliaient pas aux normes sociales.   https://www.youtube.com/watch?v=TQLlIgj_LFQ

Dans ce mépris de la femme, il y a aussi évidemment la réduction à des stéréotypes physiques et sexuels que la chanteuse Mathilde dénonce avec colère.  

-          Chanson de Mathilde : le corps des femmes https://www.youtube.com/watch?v=Yo0oPggoZRw

Au demeurant, ce refus d’être réduit à un modèle de corps adapté aux critères normatifs de la beauté féminine et du regard masculin, ne conduit pas nécessairement au puritanisme dans le monde de la chanson. Et c’est heureux. Patachou, avec la très piquante chanson intitulée : « La chose ou les ratés de la bagatelle »  qui a été censurée en 1959 parce que jugée trop osée, propose une vision féminine et irrésistiblement caustique des performances masculines au lit

-          Chanson de Patachou : « La chose ou les ratés de la bagatelle »

Bien loin aussi de tout puritanisme, Dalida a pu chanter, bravant les tabous, l’aventure d’une femme mûre avec un partenaire bien plus jeune alors qu’il est plus coutumier de voir l’inverse : un homme plus âgé avec jeune femme.

-          Chanson de Dalida : « Il venait d’avoir dix-huit ans »

Parallèlement à la revendication d’une plus grande liberté des mœurs, on trouve chez certaines interprètes le souhait de sortir des stéréotypes genrés des comportements amoureux. Diane Tell porte ainsi une revendication d’une plus grande prise d’initiative des femmes dans la relation amoureuse dans une chanson intitulée « Si j’étais un homme »

-          Chanson de Diane Tell : https://www.youtube.com/watch?v=3PlTlHjg_P4

D’autres femmes expriment aussi la volonté de rééquilibrer les rapports amoureux et affectifs entre hommes et femmes. En amour, une femme peut ainsi revendiquer d’être aimée comme elle aime. Jean-Paul Sartre estimait que la personne qui aime sans attendre une vraie réciprocité est dans une position d’infériorité – voire de masochisme : pourquoi une femme supporterait-elle cette situation de déséquilibre, source de tourments ? C’est ce que Zaho de Sagazan exprime avec force :

-          Chanson de Zaho De Sagazan : « Suffisamment » 

Ce petit parcours du côté d’images déconstruites de la femme dans la chanson ne peut s’achever sans rappeler qu’une lutte est toujours à mener. C’est que, de nos jours, les Etats qui ne respectent pas les droits élémentaires des femmes sont malheureusement légion. La condition féminine reste encore, dans bien des situations, terrible et la violence ne cesse pas. Il semble dès lors opportun, pour conclure, d’écouter ou de réécouter « l’hymne des femmes », dans une version chantée par Mathilde.    https://www.youtube.com/watch?v=wLQsOqLxLcs

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L'Instant Philo - Ivresse et Sobriété

Sobriété et ivresse

L’instant philo du dimanche 12.01.25 par Marie-Charlotte Tessier

Quelques définitions

Du latin sobrius, la sobriété s'oppose d’abord à l'ébriété qui désigne l'état de celui qui a bu trop d'alcool, qui littéralement a abusé du breuvage, qui en est rassasié, saturé, bourré. Par extension la sobriété s'applique à d'autres domaines que la boisson pour désigner le refus de l'excès, la modération, l'équilibre. En esthétique, la sobriété est l'autre nom du classicisme, une valeur sûre à l'abri des extravagances des modes passagères. On louera par exemple la sobriété d'un discours ou d'une architecture qui privilégie la clarté des lignes et la simplicité de la composition aux ornements superflus, effets de style et autres manières. Un discours sobre se tient à bonne distance de son sujet et de son destinataire. Il ne cherche ni faire à la démonstration de son érudition, ni à être exhaustif. Il s’en tient à ce que peut être entendu, en suivant son fil avec intelligence sans s’égarer en route en digressions inutiles. A l’inverse, un discours auquel on reproche d’être amphigourique rappelle celui d'un homme pris de boisson : confus, embrouillé, obscur, alambiqué.

Dans un autre contexte, celui de l’économie et de l’écologie, le sobriété désigne un style de vie, une ligne de conduite. Elle est pour certains la voie à suivre pour assurer la santé de nos sociétés si l’on veut s’éviter une abstinence brutale, forcée et injuste. Le manuel Ecologies. Le vivant et le social1 dresse un état des lieux des travaux en sciences sociales qui ont pris actedes multiples crises écologiques. Barbara Nicoloso de l’association Virage Energie parle « d’état d’ébriété énergétique permanent »2 pour décrire l’économie des sociétés occidentales depuis la fin du XIXe siècle. « Elles ont besoin de leurs doses journalières de pétrole, de gaz, de charbon, d’uranium, de sable, de lithium... » Charge à nous de les désintoxiquer en interrogeant collectivement et non seulement individuellement les besoins humains que nous estimons nécessaires de satisfaire en tenant compte à la fois des limites des ressources, de celles du vivant mais aussi des inégalités sociales qui sont en jeu puisque le niveau de consommation de ressources naturelles d’un individu est généralement corrélé à son niveau de revenus.3 Liberté, égalité, sobriété : cette dernière n’impose pas nécessairement de renoncer à la prospérité mais de réviser nos indicateurs d’évaluation des richesses et de rééquilibrer l’accès aux ressources en réduisant les consommations excessives de quelques-uns au profit d’une répartition plus juste entre tous.

Ivresse et excès

Envisageons maintenant la sobriété en son sens premier. A distinguer de l’abstinence, renoncement total à la consommation, la sobriété se garde des excès sans s’interdire de goûter à la boisson, avec modération, sans en abuser. L’étymologie est d’ailleurs sujette à discussion, le préfixe « se » pouvant être rattaché au datif du pronom personnel « se , sibi » insistant davantage sur l’idée de maîtrise de soi plutôt que sur celle de privation. La sobriété opère alors comme catégorie d’un discours moral ou bien médical à l’instar du régime, de la diététique ou du jeûn.

Du point de vue moral, l’ébriété fait l’objet d’une condamnation quasi-unanime. En France, l’ivresse est interdite sur la voie publique. Cet état d'excitation plus ou mois euphorique s’accompagne de troubles de plusieurs fonctions, principalement la vue, l’équilibre, l’élocution et la mémoire. Dans l’imaginaire commun, l’ivresse s’incarne dans une silhouette titubante, au bord du déséquilibre, le doigt en l’air, adressant à qui saura les entendre des propos décousus. Certains ont le vin mauvais et peuvent se montrer agressifs. Sans en arriver là, cette perte de contrôle entraîne bien souvent une mise en danger dont l’issue peut malheureusement être funeste.

Spectaculaires, les effets de l’alcool sur les corps en font un excellentsujet pour lapeinture. Au XVIIe siècle, dans une veine moraliste, le flamandJacob Jordaens les dépeind avec force détails dans la série « Le roi boit », exclamation qui consacrait le roi des haricots qui était tombé sur la fève lors de la fête de l’épiphanie. Dans la version conservée à Vienne, toute une galerie de personnages aux trognes déforméespar la boisson s’agitent bruyamment. Les yeux se ferment sous la pression de l’ouverture des gosiers. Au premier plan, un chien convoite le verre dont s’est saisie une enfant. Derrière elle, un des convives vide son estomac et menace de gâter le panier de provisions. Au centre de ce spectacle de débauche, de ces corps organisés autour d’orifices béants, suintants et éructants, une jeune femme dans une tenue claire et immaculée se tient assise dans une sobriété aussi miraculeuse que dissonnante. Au milieu de cette troupe d’excentriques, elle est étonnament concentrée, esquissant un très léger sourire. La morale de cette scène revient-elle à faire de la naïveté la vertu de la femme ? On peut en douter tant la rigidité de sa pose manque de naturel comme si la sobriété avait quelque chose d’artificiel, d’inédaquat, d’intenable.

Une sobriété défaillante

Je voudrais m’arrêter sur cette idée de sobriété incorrecte que Grégory Bateson (1904-1980) prit pour point de départ d’une théorie originale de l’alcoolisme. Penseur au parcours éclectique, qui fit œuvre d’anthropologue aux côtés de sa première épouse Margaret Mead avant de se tourner vers la cybernétique, il est principalement connu pour le concept de « double contrainte », employé notamment dans les thérapiesfamiliales. Ce concept a été élaboré dans les années 1950 dans le cadre d’un travail sur la schizophrénieau seindu Veterans Administration Hospital de Palo Alto. Dans un article de 1968, intitulé La cybernétique du « soi » : une théorie de l’alcoolisme4,Bateson se penche sur le succès de la cure inventée par l’association « Alcooliques anonymes », qui aurait apporté à ses patients l’aide que lui-même de son aveu n’avait su leur offrir. Cette association avait écrééetrente ans auparavant par deux amisqui désespéraient de se maintenir dans la voie de la sobriété et ouvrirent la voie à d’autres en s’inspirant de la démarche évangélique du relèvement spirituel, faisant de l’entraide et de la fraternité un des ressorts essentiels de la cure. Bateson rapporte les deux premières étapes de ce qui s’apparente à une véritable conversion spirituelle : «1. Nous reconnaissons que nous sommes sans défense devant l’alcool et que nous ne pouvons plus gouverner nos vies. 2. Nous croyons que seul un Pouvoir plus grand que le nôtre peut nous rendre la santé. » Au-delà de son intérêt clinique, c’est l’épistémologie sous-jacente de cette cure qui intéresse Bateson qui y reconnaît les prémisses de l’approche systémique qu’il est en train de bâtir.

Selon cette théorie de l’esprit, les comportements des individus ne sont pas compréhensibles en eux-mêmes mais seulement comme partie de systèmes d’interaction plus vastes au sein desquels il faut les replacer.Prenons le temps d’exposer un exemple simple pour nous en faire une idée plus claire. Un énoncé comme « je coupe un arbre » est selon l’approche systémique inadéquat. Quiconque a déjà manié la hache ou la scie sait que le geste du bûcheron tient sa fluidité d’un ajustement permanent à la résistance du tronc, à l’entaille qui s’ouvre sous l’effet de l’outil et au rééquilibrage que la progressive chute de l’arbre appelle. Or dans l’énoncé susdit, le sujet « je » masque un système d’interactions « cerveau-bras-cognée-bras-cerveau ». On peut même élargir le système et dire que chaque cognée est dépositaire de toutescelles qui l’ont précédée et qui font l’expérience et le métier de bûcheron qui sait calibrer son geste.

Quittons la forêt et revenons maintenant à la question de la sobriété.L’approche systémique, on vient de le voir, entend réviser la conception traditionnelle du sujet comme individu doué d’une volonté autonome et maître de soi. Or,la cure des « Alcooliques anonymes »se distinguait à l’époque par sa rupture avec les discours qui en appellent à la force de la volonté pour résister à la tentation. La première étape que l’on peut qualifier de négative consisteà dénoncer l’illusion de maîtrise de soi et à se savoir sans défense devant l’alcool. Bateson entend expliquer pourquoila mythologie du lutte contre la bouteille et sa logiqued’autocontrôle est condamnée à l’échec. Elle ne peut que renforcer la conduite addictive dans la mesure où cette dernière serait une tentative pour corriger une sobriété inadéquate. On peut alors résumer sa thèse à ces deux idées principales :

- la première consiste enl’application de l’approche systémique au cas de l’alcoolisme. L’alcoolique n’est pas le malade à traiter, ou encore celui qui aurait un problème avec l’alcool comme si son problème n’était que le sien. L’alcoolisme doit être compris comme une réponse à un contexte pathogène qui induit un comportement addictif, en l’occurence un contexte culturel plus ou moins hérité du dualisme cartésien qui tient la matière et l’esprit pour deux substances distinctes, dissociant ainsi l’âme du corps. A l’âme qui pense et qui veut, le pouvoir d’initiative et l’action. Au corps, le jeu de la mécanique et la passivité.

- nous arrivons alors à la deuxième affirmation : à sa manière l’alcoolique est un philosophe. Personnalité plus sensible à la dimension systémique de l’existence, il souffrirait de ne pas se sentir maître de soi comme on l’attend de lui et corrigerait cette expérience dissonnante de la sobriété en s’enivrant. L’ivresse lui offrirait la possibilité d’expérimenter ce qui sa culture ne lui permet pas d’exprimer, à savoir la communion avec autrui et l’appartenance à une sphère qui ne correspond en rien aux limites d’une individualité atomisée. Celui qui touche le fond se découvre impuissant, sans défense, à l’image du conducteur d’un véhicule qui freinerait subitement et prendrait brutalement conscience de l’inertie du système dont il n’est finalement qu’un élément là où il se croyait capitaine. Telle serait donc la claivoyance de l’alcoolique.

Sagesse de l’ivresse ?

Cette analyse critique doit évidemment être replacée dans son époque. Fort heureusement, nos institutions de soin ont aujourd’hui d’autres réponses à apporter que la culpabilisation dénoncée par Bateson. Même s’il lui attribue le beau rôle en en faisant un philosophe, Bateson tend à faire de l’alcoolique un type de personnalité là où l’on peut - plus sobrement si je puis dire - se contenter de soigner une maladie. Le ton de son article est à la provocation et il ne s’agit évidemment pas de refuser à celui qui souffre d’alcoolisme les soins dont il a besoin. Reste que l’approche systémique nous invite à prendre du recul et à saisir nos pratiques autrement que comme l’effet de choix individuels, ce qui reste l’angle d’attaque privilégié lorsque l’on s’interroge sur ses consommations. Comme le faisait remarquer Delphine Saltel dans son excellent podcast Vivons heureux avant la fin du monde, avant de toucher le fond ou de se sentir malade et légitime dans la demande de soin, on peut errer dans une zone grise où l’alcoolisation sans être envahissante n’en reste pas moins omniprésente. Elle accompagne les rituels de la camaradie, de la vie de la famille et même de la vie professionnelle. L’épisode 24 Alcool, nous avons un problème se concluait avec humour et perspicacité par un déplacement du « je » au « nous », de l’individu à la relation. Notre sens de la cordialité serait-il profondément marqué par le partage du vin ? S’il y a un défi de janvier à relever, ce n’est peut-être pas de rendre la sobriété joyeuse, mais d’inventer des formes de sociabilité sobre. L’ivresse n’agit pas seulement comme un anesthésiant aidant à supporter les misères de l’existence. Elle est un lâcher-prise qui ouvre sur une expérience de la communication renouvellée où, au lieu de chercher à faire, on accepte plus aisément de se laisser agir par notre environnement. Cela n’est pas sans risque évidemment si l’entourage manque de bienveillance mais cela n’est pas sans sagesse non plus. Toute réserve gardée, il y a dans cette expérience quelque chose du non-agir taoïste. En prenant soin de rappeler que l’ébriété ne conduit pas nécessairement à l’ivresse, j’aimerais terminer cette émission en partageant une méditation du philosophe chinois Tchouang Tseu sur la sagesse de l’homme ivre :

«Quand un homme ivre tombe d’un char,il n’en meurt pas, même quand le char roule vite. Il a les même sos et les mêmes articulations que les autres gens, mais il ne se blesse pas parce que sa force agissante est entière. Il ne savait plus qu’il voyageait en char, il ne s’est pas rendu compte qu’il tombait. Ni mort ni vie, ni surprise ni peur ne pénètrent en lui de sorte qu’il peut heurter n’importe quoi sans éprouver de frayeur».

La chute ici est éclairée sous un nouveau jour. La description renvoie à une expérience qui n’est ni exceptionnelle, ni réservée à la seule ivresse, celle d’une chute spectaculaire et pourtant indolore. La pratique des sports de glisse, de la danse ou des arts martiaux fait appel à cette sagesse où le corpsva au sol comme on rentre à la maison, sans regarder, les yeux fermés pour ainsi dire. Celui qui anticipe la chute et appréhende le contact avec le sol aura tendance à se crisper et à se blesser alors que celui qui ne s’en soucie guère et s’émancipe du contrôle de la conscience, que ce soit par le vin ou par une autre voie, a plus de chance de s’en sortir indemne. L’homme redressé qui s’arrache à la gravité pour lancer son regard vers un horizon à conquérir a oublié cette sagesse. Poursuivant son destin individuel, il s’est coupé de ce qu’il est véritablement, en tant qu’il participe au mouvement de toutes choses. Au contraire, l’inconscience de l’ivresse permettrait à l’être entier d’agir.

Alors la sagesse est-elle du côté de la sobriété ou de l’ivresse ? Nul doute que la sobriété puisse être joyeuse. Cependant, si elle est portée par le souci de contrôle de soi et de son image en société, elle est aussi trompeuse que peut l’être l’ivresse qui altère le jugement. Et Maître Tchouang de conclure

"Si l'on peut se rendre entier de la sorte par le vin, combien plus peut-on se rendre entier par le ciel ! "

Extraits musicaux

  • Tentative, J’ai plein de trucs à faire

  • onie Pernet, Tu bois trop

  • Jacques, Je ne te vois plus

  • Dick Annegarn, Sacré Géranium

A écouter pour approfondir le sujet

A lire

  • Jean-Pierre Castelain, Manières de vivre, manières de boire. Alcool et sociabilité sur le port, Paris, Imago, 1989 : une enquête anthropologique menée auprès des dockers du Havre qui mériterait à elle seule son émission !                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Notes

1Philippe Boursier, Clémence Guimont (dir.) Ecologies. Le vivant et le social, Paris, La Découverte, Hors collection Sciences Humaines, 2023

2Barbara Nicoloso, « Sobriété = égalité », in Philippe Boursier, Clémence Guimont (dir.) Ecologies. Le vivant et le social, Paris, La Découverte, Hors collection Sciences Humaines, 2023, p. 460

3Barbara Nicoloso rapporte les estimations de France Stratégie : en France en 2019 « les 50 % les plus modestes auraient émis en moyenne 5 tonnes équivalent de CO2 par an, contre 25 tonnes équivalent CO2 pour les 10 % les plus riches. » (ibid. p.461). Pour les premiers la voie de la sobriété est plus facile à tenir que pour les seconds.

4 Il sera publié plus tard dans Vers une Ecologie de l’esprit (Steps to an Ecology of Mind), 1972

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L'Instant Philo - L'invisibilité : menace ou fantasme ?

L’instant philo.                                                                 Emission du dimanche 1er décembre 2024

                                                 L’invisibilité : menace ou fantasme ?

Illustration : René Magritte : L'homme invisible

I.                    Première approche : l’invisibilité dans la perception

1)      Invisible et imperceptible

L’invisibilité est d’abord, tout simplement, celle des réalités qui échappent à notre perception visuelle. On remarque tout de suite que l’invisible se distingue de l’imperceptible. Quand on heurte dans l’obscurité avec violence un obstacle quelconque, on fait l’expérience douloureuse qu’une réalité qui échappe à la vue peut être appréhendée autrement. Souvent les autres sens permettent de percevoir ce que notre regard ne peut saisir. Notre odorat peut identifier une dangereuse fuite d’un gaz invisible. De façon plus poétique, la présence d’un oiseau, pourtant dissimulé dans les feuillages, peut être perçue par son chant.

2)      Un rapport ambivalent à l’invisibilité

a)      L’Invisible danger

Quand des indices sensoriels indiquent la présence d’un être pourtant invisible, des subjectivités différentes apparaissent. Parfois c’est une vive l’inquiétude : qu’on songe aux terreurs de l’homme préhistorique placé dans l’obscurité de la nuit, entendant d’étranges bruits et clameurs qui peuvent annoncer l’arrivée d’un prédateur. Dans bien des situations, il est vrai, voir ce qui se passe est rassurant : on a le sentiment de mieux maîtriser les choses car la vue est un des cinq sens qui nous fournit le plus d’informations sur ce qui nous entoure. Alors qu’une situation où l’on ne voit pas grand-chose peut être source d’une angoissante incertitude. Lors de la période du COVID 19, la présence possible du virus invisible ne manquait pas d’effrayer. Les films de suspens ou d’horreur savent d’ailleurs jouer avec ce danger d’autant plus menaçant qu’il se cache et qu’on se sait d’où il va surgir.

b)      L’invisible poétique

Tout à l’inverse, l’invisibilité d’une réalité peut être jugée très positive quand elle invite à une douce rêverie comme le chant du rossignol ou quand elle annonce de bonnes choses, comme la musique qu’on perçoit avant de voir le lieu festif vers lequel on se dirige avec impatience. Dans certaines religions, l’invisible est même un des caractères du sacré et du divin. Ensuite, sans être mystique, l’invisibilité peut être louée car elle nous soustrait au regard des autres et nous entraîne dans une autre dimension du monde où il est possible de réaliser, librement, sans craindre les jugements, nos désirs les plus fous. Pourquoi ces jugements si diamétralement opposées quand on parle de l’invisibilité ? C’est qu’elle constitue l’angle mort de la perception des choses dans lequel on sent, toutefois, que de la vie s’agite et que des histoires et des aventures peuvent se développer. Ce qui est invisible constitue le hors champs de notre existence ordinaire dont on ne peut minimiser ni l’importance, ni l’intérêt. Cela ne peut laisser indifférent. Car l’invisibilité désigne une mystérieuse et autre dimension du monde. Elle ouvre le champ de l’imprévisible et du possible, pour le meilleur comme pour le pire. Faisant sortir de la scène habituelle qui se joue sous les projecteurs qui éclairent le monde visible, elle nous fait découvrir des coulisses où s’agitent bien des passions.

II.                  Invisibilité concrète, sociale et intellectuelle

1)      L’invisibilité sociale

L’invisible est évidemment ce qui échappe au regard. Mais précision importante : au regard pris en trois sens assez différents. D’abord, comme nous l’avons dit, il s’agit de la perception visuelle. Ensuite du regard social, c’est-à-dire du jugement que toute une collectivité porte sur la réalité et notamment sur ses membres. Dans chaque société, la logique de la notoriété trace une ligne de partage entre des personnes bien en vue et de parfaits anonymes. L’invisibilité constitue également un des attributs des oubliés de la société, de ces personnes, parfois infériorisées, dont le malheur quotidien peut vite disparaitre des radars et du regard médiatiques. Elle devient alors signe d’exclusion et de mépris social. Les intouchables, dans le système des castes en Inde, ont été ainsi très longtemps – et c’est loin d’être fini – marqués par cette invisibilité qui leur bloquait l’accès à des fonctions bien en vue. L’invisible peut être ainsi ce qu’on a décidé d’exclure du champ du social, ce qu’on stigmatise et qu’on ne veut pas voir, toujours pour de bien mauvaises raisons.

1)      L’aveuglement intellectuel

L’invisible est enfin ce qui échappe aux yeux de l’esprit. Selon les sociétés et les époques, l’aptitude à saisir le réel peut prendre des configurations différentes. Des habitudes intellectuelles ou des schémas de pensées plus ou moins perspicaces peuvent faire disparaître certains aspects du réel. Des points aveugles et angles morts accompagnent ainsi la représentation du réel quand l’esprit fait preuve d’une certaine cécité du fait d’une grande ignorance ou d’un dogmatisme qui rétrécit notre ouverture sur le monde. L’invisible n’est pas toujours ce qui ne se montre pas, il est parfois ce qu’on n’est pas disposé à voir.

2)      Le lien entre ces trois invisibilités

Ces trois sortes d’invisibilité : visuelle, sociale et intellectuelle sont évidemment liées. C’est notre façon de penser et de nommer le réel qui donne à ce dernier, en partie, sa forme. La cécité intellectuelle a tendance à fermer les yeux et à étouffer les discours qui pourraient réactiver notre capacité à percevoir ces choses qui échappent à nos catégories de pensée. « Ni vu, ni connu », précise le dicton. Il peut être inversé : « Ni connu, ni vu ».  Que voit-on vraiment, pour prendre un exemple très concret, quand on se promène dans une forêt dont on ignore le nom des arbres, des animaux et des autres réalités qui s’y trouvent ? Peu de choses finalement. L’ignorance et l’absence de vocabulaire appauvrissent le monde. Bien des réalités restent invisibles à la vue, faute d’être identifiées par les yeux de l’esprit. 

2)      L’invisibilité sociale : façon d’échapper aux règles de la société

1)      Orientation de l’étude                                                                                                                           

Toutes ces considérations montrent la riche complexité de l’invisibilité. L’importance de cette notion dans la perception et la théorie de la connaissance demanderait, certes, d’autres développements – parfois ardus - comme le montre, à titre d’exemple, les derniers travaux du philosophe Merleau Ponty regroupés sous le titre : Le visible et l’invisible[i]. Je me  contenterai aujourd’hui d’insister sur la dimension sociale de l’invisibilité pour compléter mon propos.    

2)      Retour à l’ambivalence de l’invisibilité sociale                                                                                              

On l’a souligné, dans une collectivité, être invisible est le signe d’une relégation à une place modeste dans la collectivité, voire d’une exclusion du jeu social. D’une façon apparemment plus positive, l’obscurité de la nuit, qui peut effrayer, peut aussi protéger du regard social, permettre de réaliser sans subir le jugement des autres un certain nombre de fantasmes et cultiver nombre de désirs habituellement mal vus. Serge Gainsbourg, grand noctambule, a bien saisi cet aspect sulfureux de l’invisibilité dans une de ces ultimes compositions. 

3)      Le monde de la nuit

Le monde de la nuit comme celui de la fête peut-être celui d’une mise à distance des normes sociales. C’est bien souvent le hors champ d’une société qui permet, quand on s’y intéresse, d’avoir une meilleure image de la dite-société avec toutes ses frustrations, ses contradictions ainsi que l’ensemble baroque de ses désirs cachés. Cela peut être toutefois aussi le moment d’une libération des mauvaises passions. Car, à côté des joyeux noctambules, traînent aussi tout un monde interlope où une grande violence, parfois, n’est nullement absente.  Dans sa dimension sociale, on retrouve ainsi cette ambivalence qui est au cœur du domaine de l’invisible. D’un côté, on trouve la stimulation et l’enthousiasme d’une énergie libérée des règles du monde visible et bien établi. De l’autre, quand on est « ni vu, ni connu », on constate qu’on bénéficie alors d’une impunité qui peut encourager le désir de faire le mal.

4)      L’anneau de Gygès

Platon dans La République[ii] , l’histoire de l’anneau de Gygès illustre très bien ce versant immoraliste de l’invisibilité. Gygès est un berger. On sait que dans la plupart des récits, un berger incarne une certaine pureté morale. Après un tremblement de terre, Gygès s’aperçoit, en allant faire paître ses bêtes, qu’une caverne s’est ouverte au flanc de la montagne. Curieux, il y entre et y découvre une tombe occupée par le squelette d’un géant. Inspectant la sépulture, il est tout de suite attiré par une bague placée au doigt du géant dont il s’empare. Un temps plus tard, il se met à jouer avec le chaton de l’anneau qu’il a mis à son doigt et il constate, stupéfait, qu’il devient invisible. Dès lors des idées germent en lui qui le conduisent grâce au don d’invisibilité qu’il a acquis, à s’introduire, dans le château du roi de la cité voisine, à séduire sans vergogne la reine, à assassiner le souverain et à devenir un tyran en se servant du pouvoir de son anneau magique. Que cherche à dire cette histoire qui a inspiré Tolkien dans Le seigneur des anneaux ?  Tout simplement que lorsque l’invisibilité permet d’échapper au regard social et au jugement de la collectivité, lorsqu’elle autorise de faire le mal en toute impunité alors aucun homme, même parmi les plus vertueux, ne résiste à la tentation de commettre l’injustice, d’abuser de son pouvoir et de se laisser entrainer à faire le mal. C’est une leçon bien pessimiste que Platon dans La République, prend, au demeurant, le temps de réfuter rigoureusement.

Conclusion

De fait, le désir de se soustraire au regard social ne se réduit pas à la tentation de faire le mal en toute impunité, ni à la fascination à l’égard de pratiques sulfureuses habituellement désapprouvées. Ce désir de grande discrétion ne doit pas être laissé à la seule interprétation des esprits chagrins qui voient du mal partout. On peut cultiver avec profit, au plus loin des regards et des jugements, son jardin secret et rester dans sa tour d’Ivoire. L’invisibilité qui permet de s’affranchir de toute surveillance, n’est-elle pas un précieux auxiliaire de la liberté ? N’est-elle pas un bon antidote pour lutter contre cet idéal de transparence qui dérive trop souvent vers un voyeurisme débilitant ou un dispositif policier ? « Pour vivre heureux, vivons cachés »[iii] dit le proverbe. L’invisibilité n’est-elle pas, en effet, un havre de paix où la personnalité, loin de la vaine agitation, se forge, se ressource et se développe en toute tranquillité ? L’invisibilité peut tourner le dos à l’apparaître pour tenter de cultiver une meilleure façon d’être. Elle détient, à bien des égards, les vertus apaisantes et réparatrices du silence. On peut supposer ainsi, n’en déplaisent à une société de contrôle parfois plus intrusive que protectrice, que bien de belles et grandes choses ne peuvent se préparer, mûrir et s’épanouir qu’à l’abri des regards.

Les virgules musicales :

-          « Pas vu, pas pris », chanté par Marina Céleste. Musique composée par Ennio Morricone

-          « I’m the boy », de Serge Gainsbourg, chanson tirée de l’album Love on the beat

-          « Visible » de Ryan Nealon 

 


[i] Le visible et l’invisible, Maurice Merleau-Ponty, collection TEL, éditions Gallimard, 1988. 

[ii] La république, Platon, II, 360a et sq.

[iii] Dernier vers de la fable « Le grillon » de Florian (1793)

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L'Instant Philo - L’imitation entre copie, identification et création

« L’instant philo »                                                                                          Emission du 6 octobre 2024 

                                 L’imitation entre copie, identification et création

I.                    Analyse générale

A.      L’imitation est trop souvent mal jugée

L’imitation n’est pas une capacité jugée habituellement très noble. Des imitateurs comme Laurent Gera ou Nicolas Canteloup peuvent, certes, être populaires mais ils n’occupent pas, comme humoristes, une place centrale dans nos sociétés. La figure du faussaire, cet escroc qui s’enrichit en faisant des plagiats d’œuvres célèbres a même contribué à la mauvaise réputation de l’imitation. D’autant qu’à moindre échelle, l’individu qui mime de façon appuyée le comportement, les opinions et les goûts d’un modèle qu’il idolâtre, est souvent moqué pour son manque de personnalité.

Toutefois, en rester à cette approche plutôt dépréciative de l’imitation semble intenable. Depuis Platon et Aristote, la mimésis – terme grec qui correspond à l’imitation - est un sujet de réflexion nourrissant multiples débats. D’abord en art, où la ressemblance et la grande exactitude dans l’imitation ont été des critères souvent discutés dans l’appréciation des œuvres. Mais aussi en pédagogie, en psychologie morale et dans notre conception même du réel. Examiner les multiples facettes de l’imitation et avoir une approche attentive à sa complexité semble donc nécessaire, tant il est vrai que cette capacité que nous avons d’imiter recoupe, des aptitudes et des attitudes très différentes.  

B.      Trois figures principales de la mimésis   

On peut dégager, en effet, trois figures principales de l’imitation. Imiter, c’est d’abord copier et par conséquent reproduire un modèle avec la perfection duquel on sait ne pas pouvoir rivaliser. L’imitation peut aussi se présenter comme une identification ou une simulation exacte d’une réalité. Dans cette optique, la mimésis désire sortir de son infériorité supposée par rapport au modèle initial et tâche même de l’égaler, voire d’occuper sa place – ce qui n’est pas sans poser problème. Enfin, imiter peut signifier produire une réalité nouvelle. La mimésis n’est plus une reproduction imparfaite, ni une identification problématique mais une production. C’est ainsi qu’Aristote met l’accent sur la mimésis dans la tragédie et l’ensemble des créations littéraires. L’imitation sort alors d’un rapport d’infériorité, d’égalité et même de comparaison avec sa source première d’inspiration. Elle devient le creuset dans lequel se crée du nouveau.  

II.                  L’imitation comme copie imparfaite

A.      Copie et original

Imiter, disions-nous, c’est d’abord copier de façon imparfaite une réalité. Un dicton rappelle qu’on préfère toujours l’original à la copie. Une duplication de fichier ou une photocopie d’un document, même à l’aide un système élaboré, suppose toujours, en effet, une perte de définition. Ce constat a beaucoup contribué à une dépréciation de l’imitation toujours par définition approximative. Ce constat permet aussi de rapprocher l’imitation de l’image – dont on fait souvent l’hypothèse qu’elles ont une étymologie commune visible dans leur préfixe. En effet, l’imitation/copie, comme c’est le cas pour l’image, a un rapport de ressemblance et de dissemblance avec ce qui est représenté. Pourquoi de dissemblance ? L’imitation reste différente de l’imité, sinon on ne pourrait pas les distinguer : ce serait la même chose ou encore un double. L’imitation comme l’image est donc toujours imparfaite par rapport au modèle. On peut considérer comme on le fait souvent que c’est une imperfection car toute réalité se trouve ainsi mal reproduite, voire déformée.  

B.      Qualité pédagogique et spirituelle de la copie imparfaite

A vrai dire, ce défaut peut se révéler souvent être une qualité. Platon, par exemple, estime que contempler et admirer les beautés terrestres, ces pâles et imparfaites copies de la beauté en soi, peut permettre d’élever son esprit jusqu’à l’idée du beau et suggérer aux humains les qualités éminentes de ce qui est invisible et purement spirituel. La copie imparfaite quand elle renvoie en filigrane au modèle parfait a une valeur pédagogique. C’est pourquoi Platon multiplie les analogies, les métaphores et les mythes dans son œuvre pour parler des réalités supérieures et spirituelles qu’on ne peut décrire qu’avec ce que notre aptitude à imiter nous fournit. Dans un autre registre, un ouvrage de piété L’imitation de Jésus Christ, attribué habituellement à Thomas A. Kempis, eut un grand succès à la toute fin du moyen-âge et à la renaissance en occident et illustre aussi cette idée d’une imitation toujours imparfaite qui permet d’élever spirituellement les hommes.

C.      La vérité de la caricature

Ce pouvoir révélateur de la copie imparfaite est présent aussi chez les peintres caricaturistes et les humoristes imitateurs. On est étonné du pouvoir que certains ont de mettre en lumière un trait physique et/ou psychologique de la personne imitée ou caricaturée qu’on ne voyait pas nécessairement. Le miroir tendu alors peut être parfois cruel quand elle souligne par exemple les tics de langage ou de comportement d’une célébrité qu’on reconnaît tout de suite. L’imperfection d’un portrait dont les traits sont volontairement grossis révèle ainsi parfois un aspect d’une personnalité dont une certaine vérité est par là même mise à nu.

D.      Un exemple musical

Il arrive qu’une imitation assez caricaturale puisse se transformer en un hommage plein d’humour. Dans un morceau intitulé « Lady of the road » - clin d’œil à Abbey road rendue célèbre par les Beatles, le groupe King Crimson a imité ainsi avec brio et finalement avec une ironie très respectueuse certaines compositions du fameux quatuor de Liverpool. King Crimson met en avant le lyrisme appuyé de la mélodie, du chant mais aussi des paroles de Paul Mac Cartney, il se moque gentiment de la batterie un peu lourde de Ringo Star et s’amuse à produire un solo de guitare volontairement un peu poussif. Mais le résultat est un morceau original et plein de clins d’œil bienveillants aux Beatles, ce groupe qui a eu une influence énorme sur toute la rock music. 

III.                Deux autres conceptions de la mimésis

 

A.      Imitation et source d’inspiration

L’exemple de cet hommage aux Beatles permet de comprendre que l’imitation peut conduire à une certaine identification – tant il est vrai qu’une certaine empathie et compréhension intime de ce qui est imité est souvent nécessaire pour pouvoir se glisser dans une manière d’être et de faire différente de la nôtre. Ce désir d’appropriation de la nature du modèle change le sens et la nature de l’imitation. Le morceau que nous venons d’écouter est une imitation assumée où il s’agit de créer quelque chose de nouveau en revendiquant avec humour l’influence des Beatles. Imiter consiste ici à se réapproprier quelque chose pour en faire œuvre personnelle. Cet aspect de la mimésis est aussi perceptible dans ce qu’on nomme le bio-mimétisme qui désigne l’ensemble des innovations techniques imitant des processus naturels. C’est ainsi que le radar découle de l’observation du mode de repérage et de déplacement des chauves-souris.  

B.      Imitation et formation

Cette figure de l’imitation est au cœur des apprentissages et de toute formation, que ce soit chez enfant, l’étudiant, l’adulte mais aussi chez l’artiste en herbe. En ce sens, l’imitation ne s’oppose donc pas à l’affirmation de soi. Au contraire : force est de constater que la construction de notre personnalité passe par diverses identifications qui sont autant d’étapes importantes de notre développement. Et on n’est pas influencé de façon passive par ce qui nous entoure comme c’est le cas de Zelig, ce personnage imaginé et interprété par Woody Allen, qui est un vrai caméléon, changeant d’aspect physique et de personnalité en fonction du milieu dans lequel il vit. En réalité, le plus souvent il y a une activité de sélection, même inconsciente, des modèles et des influences en fonction de ce que l’on est et ce que l’on désire. Imiter, consiste alors à mettre ses pas dans les pas des autres pour pouvoir tracer ensuite son propre chemin.  

Les peintres de la renaissance passaient ainsi un certain temps à copier les maîtres anciens pour se faire la main. Et les grands artistes savent rendre hommage aux maîtres qui les ont influencés. C’est le cas de Bach avec Jan Dismas Zelenka de Raphaël avec Bronzino ou encore du cinéaste Bruno Dumont avec Bresson et Tarkovski. Il est clair, dès lors, qu’un bon maître ne cherche pas à avoir un disciple docile mais à faire naître un nouveau maître qui peut-être un jour le dépassera ou en tout cas, produira ce que lui, son mentor, n’aurait jamais pu faire.

Quand la mimésis contribue à la construction de soi et à la créativité, comme nous venons de le voir, elle n’a plus grand-chose à voir avec ces opportunistes qui retournent leur veste, en imitant de façon servile le modèle qui leur semble profitable à un moment donné. Elle est alors une aptitude tout à fait essentielle et précieuse

C.      Imitation et désir d’identification

L’imitation peut aussi tendre à une identification presque fusionnelle avec le modèle. C’est à première vue paradoxal. Si les deux réalités deviennent semblables, loin d’avoir une copie de ce qui est imité, on obtient un double ou un clone. Ensuite, faire tomber la frontière entre le modèle réel et l’imitation peut conduire aussi à ce qu’il n’y ait plus qu’une seule réalité donc plus rien à imiter. Dans cette perspective, le modèle est menacé, à tort ou à raison, d’être en quelque sorte éclipsé par l’imitation. Platon défendait la mimésis consciente d’être une copie imparfaite tendant aux hommes le miroir de réalités plus spirituelles mais il se méfiait d’une imitation qui voulait se faire passer pour le réel. Les trompes l’œil sont des simulacres qui montrent les limites d’une simulation du réel. Même si on peut peindre des raisins avec un réalisme saisissant, comme le fit le peintre Zeuxis[i], il est impossible de s’en nourrir.

Cette imitation/ identification quand elle se développe dans les relations interpersonnelles peut générer un désir mimétique potentiellement destructeur - à savoir l’« envie », cette fascination pour un autre qu’on veut imiter qui s’accompagne du désir impétueux de prendre sa place. Le désir mimétique rappelle René Girard est ambivalent : l’admiration éprouvée pour quelqu’un peut se transformer en un désir de s’approprier de façon éventuellement violente de ce qui constitue sa personnalité. S’identifier à une personne peut conduire à lui voler en quelque sorte son identité. Les exemples de rapports difficiles entre jumeaux sont mis en valeur par René Girard qui repère dans les mythes de toutes les civilisations, des conflits terribles causés par le désir mimétique. [ii]Etrangement, cette façon de s’identifier à l’autre a un versant très positif car c’est aussi la source de toute empathie qui permet d’éprouver compassion et compréhension face aux souffrances ou aux pensées des autres. L’imitation comme désir d’identification à l’autre est donc pour le meilleur comme pour le pire.  

Conclusion 

Nous n’avons évidemment pas la prétention d’être exhaustif au sujet de cette capacité humaine très riche qu’on nomme l’imitation. Au moins, espérons-nous avoir montré qu’il ne faut pas la sous-estimer, ni en juger trop rapidement tant il est vrai qu’elle offre des figures assez différentes et complexes mais toujours essentielles pour comprendre la nature humaine. Pour conclure, cette émission, je propose que nous écoutions une reprise par Franck Sinatra d’une chanson française bien connue qui permet d’illustrer, je crois, le pouvoir de renouvellement et de créativité de la mimésis :     

Virgules musicales

1. Cinematic widescreen : “The final look” dans l’album Crowander

2. King Crimson : “The lady of the road” dans l’album Island

3. Franck Sinatra : « My way », reprise de la chanson « Comme d’habitude »,  interprétée par Claude François.


[i] Pline l’ancien : Histoire naturelle.

[ii] David Cronemberg en a fait un film  Faux semblants.

 

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L'Instant Philo - Religion, superstition et spiritualité

Religion, superstition et spiritualité                                                                                     Emission du dimanche 19 mai 2024

Illustration tirée du film de Tarkovski : Andréi Roublev

                                                

                                                           L’instant philo    

Religion, superstition et spiritualité                                     Emission du dimanche 19 mai 2024

Quand on parle de religion, on a tendance à partir de ses propres croyances et pratiques et de les ériger en modèle. Ainsi, définit-on souvent en Occident, la religion comme la croyance en un Dieu. On oublie alors que le monothéisme ne constitue qu’une des multiples manifestations du religieux. Le polythéisme, par exemple, n’est pas une croyance tombée en désuétude qui serait typique de l’antiquité grecque et romaine. L’hindouisme de nos jours est, en effet, fort de plus d’un milliards d’adeptes. Le même préjugé nous laisse déconcertés face aux religions où la notion de divinité est largement absente, à l’instar du bouddhisme ou de l’animisme. La perspective qu’on adopte souvent dans notre appréhension du religieux conduit à repousser les cultes différents du nôtre, soit du côté de la superstition, de l’hérésie ou de la naïveté supposée des anciens ou d’autres peuples, soit – et c’est plus positif - du côté, de la spiritualité comme c’est le cas pour le bouddhisme, le confucianisme ou le taoïsme. Notre jugement est faussé. Ensuite, une fois ce premier obstacle repéré, un autre se présente, peut-être encore plus redoutable. Car il n’est vraiment pas facile de trouver un dénominateur commun à toutes les pratiques religieuses déjà nommées, surtout si on ajoute le totémisme, l’énigmatique religion égyptienne, le chamanisme, les rites sacrificielles des Aztèques, le shintoïsme – et la liste n’est pas exhaustive. Peut-on vraiment trouver une définition de la religion qui puisse s’appliquer à toutes ces différentes croyances ? Et si c’est le cas, doit-on les considérer toutes à égalité ? Ou bien faut-il introduire des distinctions, voire une hiérarchie entre elles ?

I. Des définitions peu satisfaisantes de la religion

A. L’impasse de l’étymologie  

Le terme « religion » viendrait  du verbe latin religare qui signifierait d’après Lactance, un théologien chrétien soucieux de prosélytisme, « relier », « rassembler ». Rassembler quoi ? Les hommes entre eux, pour les uns. Les hommes à Dieu pour d’autres. Parfois les deux. Toutefois, d’après le Gaffiot, dictionnaire de référence pour le latin, cette étymologie n’est pas fiable. Certains vont alors rapprocher religio du latin relegere – reprendre avec soin, traiter avec scrupule ou encore– ce qui vaut seulement pour les religions du livre - relire avec grande attention. Saint Augustin commente à plusieurs reprises ces deux étymologies[i], sans trancher car il ne porte pas une si grande attention à ces considérations. A raison car cette piste semble ne mener que là où on veut aller et elle ne permet pas de dégager une définition satisfaisante et globale du fait religieux.

 

 

B. La religion et le sacré   

Présenter la religion comme une expérience du sacré à la manière de Mircéa Eliade, est peut-être plus éclairant ? Le sacré, réalité absolue et transcendante, censée être source de tout, est objet d’un respect qui commande habituellement attitude humble et silencieuse. Par opposition, le profane est tout ce qui est à notre modeste mesure et n’exige pas un comportement spécifique. Le sacré, parce qu’il nous échappe par définition et est mystérieux, est une notion problématique. Mircéa Eliade estime en plus que les êtres profanes peuvent être le lieu d’une manifestation du sacré. En  brouillant ainsi la frontière entre sacré et profane, il ne facilite pas la tâche. Si on ajoute à cela que sacrifice signifie « rendre sacré », qu’est jugé ainsi « sacré » ce pour quoi on est capable de sacrifier sa vie comme la révolution, la patrie, l’honneur ou encore un idéal, on voit que le sacré, comme le rappelle René Girard[ii], est souvent associé à la violence et n’est pas toujours lié directement au religieux. René Girard distingue d’ailleurs les religions sacrificielles de celles qui ne le sont pas. Ces considérations nous amènent à conclure que le sacré n’est pas un bon critère pour définir la religion en général.                                         

II. Une définition descriptive et suffisamment générale ?

A.     La formulation  

Peut-être qu’une définition descriptive de la religion a plus de chance d’être satisfaisante ? Examinons celle que l’historien Yuval Noah Harari[iii] a proposée dans Sapiens,  un livre qui date d’une dizaine d’années: « la religion – écrit-il -est un système de normes et de valeurs humaines fondé sur la croyance en un ordre surhumain. » 

     B. Commentaires

Surhumain mais pas surnaturel. Précision importante car un ordre surnaturel, souvent associé aux notions de divin ou de sacré est, par définition, inconnaissable. Sans compter qu’on est très embarrassé quand on veut expliquer comment le surnaturel peut avoir un effet sur Terre. Parler d’un ordre surhumain, par contre, est rationnel. Les lois de la nature en physique ou encore les règles du raisonnement en sciences formelles s’imposent à nous et constituent deux ordres surhumains. Toutefois, les scientifiques ne déduisent pas de ces ordres un ensemble des normes comportementales et morales. Ensuite, des systèmes de normes comme les règles du jeu dans le football ou les échecs n’ont pas besoin de la foi en un ordre surnaturel. Le droit, les lois et les constitutions politiques découlent aussi de décisions humaines. Harari remarque «  comme nous l’ont prouvé les tout derniers siècles, nous n’avons aucun besoin d’invoquer le nom de Dieu pour mener une vie morale. La laïcité peut nous offrir toutes les valeurs dont nous avons besoin.»[iv].                                                         

La spécificité de la religion est donc de tirer d’un ordre surhumain présenté dans un récit, tout un système de rituels, interdits, cultes spécifiques et critères éthiques qui valent pour l’ensemble des croyants.

C. La confusion de deux ordres et l’aspect politique de la religion.   

Une remarque du philosophe et économiste Friedrich Hayek va permettre de distinguer « ordre humain » et ordre surhumain et de dégager la dimension religieuse de certaines doctrines politiques. Hayek[v] distingue en effet les organisations, productions humaines dont l’origine et la responsabilité humaine est clairement identifiable à l’exemple d’un défilé militaire, des ordres qui sont productions collectives où l’enchevêtrement des actions d’une multiplicité de personnes différentes nous rend incapable de savoir qui en a décidé : c’est tout le monde et personne. Parmi les exemples de ces ordres spontanés et involontaires que les collectivités humaines produisent, il y a les langues dont l’évolution et la formation ne peuvent être rapportées à des personnes précises mais aussi la marche imprévisible de l’histoire ou encore, pour beaucoup de penseurs libéraux dont Hayek fait partie, le marché. Il y a ainsi des ordres humains qui nous dépassent et que nous pouvons d’une certaine manière sacraliser et confondre avec un ordre surhumain. C’est le cas de ceux qui font de la croyance dans le marché, censé apporter abondance et richesse à tous, un acte de foi dont découlent certaines politiques et normes à respecter par les instances internationales, les états et les citoyens. Pour Harari, certaines versions du communisme qui partent de la croyance en des lois de l’histoire censé aboutir nécessairement à plus d’égalité et en déduisent un ensemble de normes de comportement politique et individuel, sont également des religions.   

Présenter la religion comme « un système de normes et de valeurs humaines fondé sur la croyance en un ordre surhumain. » semble donc bien rendre compte de l’ensemble des croyances. Cela éclaire même certains aspects religieux du politique qui se manifestent quand on confond ordre humain spontané et collectif et ordre surhumain.

  III. Religion et spiritualité                                                                                           

A.     La religion : un marché ou une aventure spirituelle ?

Cette définition générale n’empêche pas toutefois de poser des distinctions entre les religions. Certaines relèvent, pour Harari, d’une sorte de marché ou de contrat passé entre le croyant et l’institution à laquelle il adhère : « obéissez et appliquez les lois et vous obtiendrez le salut ». D’autres pratiques religieuses, selon lui, peuvent être placées du côté d’une aventure spirituelle où l’on s’interroge sans tabous, ni dogmatisme sur le sens de la vie et sur les valeurs qui doivent nous guider. Il écrit ainsi : « Nombre de systèmes religieux ont été défiés non pas par des profanes avides de nourriture, de sexe et de pouvoir, mais par des personnes en quête de vérité ». Dans les exemples qu’il fournit, il y a « la révolte protestante contre l’autorité de l’Église catholique » qui « a été déclenchée par un moine pieux et ascétique, Martin Luther. Ce dernier réclamait des réponses aux questions existentielles de la vie et refusait de s’en tenir aux rites, rituels et marchés qu’offrait l’Église. [vi]» On se souvient à cet égard que Luther était scandalisé par la vente d’indulgences par L’Eglise qui étaient censées permettre aux riches d’écourter leur séjour au purgatoire et d’accéder plus vite au paradis.

B.     Religion statique et religion dynamique         

Alors, retrouve-t-on les tensions signalées au début, qui conduisait pour définir la religion à lui faire une place spécifique en la distinguant de la superstition et de la spiritualité ? Pas vraiment car Harari estime avec l’exemple de Luther que la spiritualité peut revitaliser de l’intérieur une religion trop centrée sur des visées utilitaires. L’inspiration d’une thèse d’Henri Bergson[vii] se fait sans doute sentir. Pour Bergson, le fait religieux en effet oscille entre deux pôles. Un pôle statique, soucieux de la satisfaction des intérêts concrets avec notamment des pratiques magiques, parfois sacrificielles et politiques - et un pôle dynamique et créatif qui renvoie à des interrogations fondamentales et à une quête spirituelle que Bergson associe au mysticisme.

C.     Deux tendances coexistent dans le fait religieux.

La religion semble donc être une réalité dans laquelle deux tendances bien différentes peuvent coexister. En proposant cette distinction non exclusive entre religion et spiritualité et en défendant, on s’en souvient, la possibilité d’une haute moralité des incroyants, Harari arrive à contourner, grâce à une position qu’on pourrait qualifier sans doute de laïque, un des obstacles que l’on rencontre souvent quand on cherche à définir la religion, à savoir qu’il faudrait prendre sans nuance position pour ou contre. Au fond, il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire à la religion. Il ne s’agit pas de la louer, ni de la condamner – du moins tant qu’elle ne cherche pas à imposer ses normes et ses valeurs avec violence. Mais il faut plutôt tâcher de comprendre cette réalité humaine importante et multiforme. Telle est, je crois, sur ce sujet, la position la plus authentiquement spirituelle.

Virgules musicales tirées de la chanson de Murray Head : « Say it ain’t so, Joe »   


[i] Par exemple dans La cité de Dieu, X,3 ( de 410 à 426)

[ii] La violence et le sacré, 1972.

[iii] Sapiens, une brève histoire de l’humanité, chap. 12, La loi de la religion. 2011

[iv] 21 leçons pour le XXIe siècle, 2018

[v] Droit, législation et liberté. T.I. Règles et ordre, 1973

[vi] Idem

[vii] Les deux sources de la morale et de la religion, 1932